Par Lika Kobeshavidze

En Géorgie, une nouvelle loi cible les organisations qui reçoivent des financements d’autres pays et les considère comme des “agents étrangers”. Elle les soumet à des régulations strictes et à un examen minutieux. Introduite au Parlement géorgien, elle a suscité des manifestations en mars 2023. Contrairement aux ministères ou agences d’État, les ONG, les médias ou les syndicats civils dont plus de 20 % des financements proviennent de l’étranger se voient attribuer cette étiquette. La loi vise à restreindre la liberté d’expression et à stigmatiser la société civile, soulevant de graves préoccupations quant aux principes démocratiques de la Géorgie à l’approche des élections.

Le parti Rêve géorgien – Géorgie démocratique (KO) prétend que des restrictions similaires existent dans des pays occidentaux comme les États-Unis et la France. Cependant, l’analogie française est trompeuse. Bien que les lois française et géorgienne abordent toutes deux l’influence étrangère, les différences sont flagrantes et fondamentales, révélant la manipulation éhontée de certains députés géorgiens.

Examinons les disparités fondamentales entre ces deux législations.

Loi française vs. loi géorgienne : quelle portée d’application ?

En France, l’Assemblée nationale a proposé une législation visant à prévenir les ingérences étrangères, englobant à la fois les individus et les entités. Toutefois, la proposition de loi n’oblige pas les organisations dont plus de 20 % du financement provient de l’étranger à s’enregistrer en tant qu’agents d’influence étrangère. Cette approche contraste vivement avec la version géorgienne, qui reproduit le système de surveillance russe.

De plus, le projet de loi français a été soumis à un examen rigoureux par plusieurs commissions parlementaires au cours de l’année écoulée. Ces enquêtes ont mis en lumière les menaces numériques croissantes auxquelles la France est confrontée, notamment de la part de la Russie, de la Chine, de l’Iran et de la Turquie. Les tentatives d’intervention étrangère et la formation d’alliances avec des puissances étrangères ont été des sujets importants en France en 2023. Dans ce contexte, plus de 50 auditions ont eu lieu, au cours desquelles il a été établi, par exemple, que Marine Le Pen et son parti étaient directement liés au Kremlin. Cette discussion fait référence à l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014, période pendant laquelle le Rassemblement National (RN) reproduisait la propagande du Kremlin.

Au cours de ces mêmes enquêtes, d’anciens Premiers ministres comme François Fillon et de nombreuses autres personnalités publiques ont été interrogés. Par conséquent, lorsqu’on s’intéresse à l’esprit du projet de loi, il ne serait probablement pas exagéré de dire que l’initiative de l’Assemblée a une orientation anti-Kremlin, les risques étant principalement liés à la Russie de Poutine. Cette conclusion repose sur le projet de loi lui-même, et sur les nombreuses activités menées avant son introduction que nous avons déjà brièvement décrites.

Régulation du lobbying en France, suppression des organisations indépendantes en Géorgie

Tout comme les membres du gouvernement géorgien, les législateurs français affirment que le projet de loi qu’ils ont initié est similaire à la loi américaine FARA (Foreign Agents Registration Act). La différence réside dans le fait que dans l’initiative française, l’accent est mis sur les activités de lobbying, et que les organisations dont le but est d’influencer l’opinion publique devront s’inscrire dans une base de données spéciale.

A contrario, la législation géorgienne imite les récentes initiatives au Kirghizistan, où une loi inspirée par le Kremlin a récemment été adoptée. Le 14 mars 2024, le Parlement du Kirghizistan a approuvé en première lecture la soi-disant loi sur les agents d’influence étrangère. Le projet de loi prévoit un contrôle et une inspection supplémentaires des organisations non gouvernementales à but non lucratif par l’État. La version originale de la loi prévoyait l’emprisonnement dans certains cas, mais cet article a été retiré du projet de loi le 20 février. Selon des journalistes kirghiz indépendants, la nouvelle loi est presque similaire à la loi en vigueur en Russie, avec une part de similarité de 69,2 %. Ce schéma reflète les actions dans les régimes non démocratiques, utilisant des comparaisons occidentales dans les communications, tout en visant à restreindre les médias indépendants et les organisations publiques.

Un exemple pratique

Cette trajectoire reflète celle de la Russie elle-même, où des lois similaires ont conduit à l’emprisonnement de journalistes comme Denis Kamaliagin pour des infractions administratives. Considérons un scénario hypothétique : si la Géorgie adoptait la législation française, des médias indépendants pourraient opérer librement ; ils n’auraient pas à s’enregistrer obligatoirement en raison de leur notre statut à but non lucratif et de leurs sources de financement en provenance de l’UE. À l’inverse, dans la législation géorgienne calquée sur le modèle russe, les médias qui remplissent ces critères doivent s’enregistrer obligatoirement en tant qu’agents étrangers, ce qui limite sévèrement leurs opérations.

Quel impact sur les valeurs démocratiques ?

Au-delà des complexités juridiques, l’adoption d’une telle loi a des implications profondes dans la trajectoire démocratique de la Géorgie. La fausse équivalence entre la loi française et la loi géorgienne érode non seulement la confiance du public, mais compromet également les efforts de la Géorgie pour s’aligner sur les normes de l’Union européenne en matière de respect des droits de l’homme et de la liberté de la presse.

L’approche de la France pour gérer l’influence étrangère démontre surtout un engagement envers la transparence et les normes démocratiques, tandis que l’émulation par la Géorgie des lois russes montre un recul par rapport aux principes démocratiques. Avec des élections cruciales à l’horizon, le choix entre la défense des valeurs démocratiques par l’Etat géorgien ou succomber aux tactiques autoritaires devient clair.

La Géorgie envoie un mauvais signal à l’international 

D’un point de vue international, le mauvais étiquetage de la législation géorgienne a des répercussions au-delà des frontières de la Géorgie. Cela envoie un signal trompeur à nos alliés occidentaux et aux observateurs internationaux, compliquant potentiellement les relations diplomatiques et la coopération sur des questions critiques telles que la sécurité et la défense de la démocratie.

De plus, les parallèles dressés entre les démocraties occidentales et la législation géorgienne ne résistent pas à l’examen. La différence fondamentale réside dans l’intention et l’application : tandis que la France vise à sauvegarder les processus démocratiques, la Géorgie risque d’étouffer la dissidence et la libre expression sous prétexte de sécurité nationale.

Comment préserver les libertés en Géorgie ?

En tant que citoyens préoccupés et acteurs de l’avenir démocratique de la Géorgie, il est impératif d’exiger clarté et responsabilité de nos élus. Mettre sur le même plan la loi géorgienne et la loi française contre les ingérences étrangères mine le discours public et l’intégrité des institutions démocratiques géorgiennes.

Nous devons exiger la transparence dans les processus législatifs, un débat public robuste et le respect des normes internationales en matière de respect des droits de l’homme et de la liberté d’expression. Cela inclut le rejet des lois qui imitent les régimes répressifs et, au contraire, la promotion de politiques qui défendent les valeurs démocratiques et protègent les libertés civiles.

La mauvaise foi des représentants du parti Rêve géorgien – Géorgie démocratique (KO) met en lumière un moment critique dans l’évolution démocratique du pays. En exposant la vérité derrière la législation et en plaidant en faveur de réformes démocratiques véritables, nous pouvons orienter la Géorgie vers un avenir aligné sur les valeurs et les principes européens.